Être éditeur aujourd’hui, par passion des livres et de leurs auteurs, est un loisir coûteux, en temps et en argent. Et quand je dis coûteux, je devrais parler de gouffre financier !…
Investir sur un titre et un auteur, c’est un plébiscite onéreux, voire ruineux !…
Pourquoi je parle de cela aujourd’hui ?
Pour partager mon expérience de l’édition sous toutes ces formes.
Il y a environ un mois, j’ai reçu une invitation.
Dans une magnifique enveloppe décorée à la main, un carton d’une grande sobriété m’invitait à une séance de dédicace, à l’autre bout de la France, dans un village dont je n’avais jamais entendu parlé.
Cela m’a surpris : ma première invitation formelle à une dédicace…
Hier, j’ai donc visité la séance de dédicace de cet auteur, chez un libraire de campagne. Je suis arrivé là, en rendant grâce à mon GPS : loué soit son inventeur. La journée de route avait été ensoleillée et lumineuse. L’endroit était incroyablement mis en valeur, dans un écrin de nature, au bout d’un chemin caillouteux, bordé par une petite rivière vivace sautillant de pierre en pierre.
Au bout du chemin, un panneau de bois à la peinture mangée par des années d’intempéries, incitait à tourner à gauche, par un aimable « parking par ici ».
Une immense grange en pierre, à l’âge canonique semblant défier le temps, projetait son ombre encore gelée sur le parking en question. Là, s’alignaient en vrac des véhicules nombreux. Bizarre. Choisissant un emplacement à l’écart mais proche de la sortie, je contournais le bâtiment, en suivant le panneau peint « par ici la librairie ».
Ce que je prenais pour l’arrière du bâtiment était percé de grandes fenêtres généreuses. J’entrais dans une immense pièce, ancienne étable, sol en pierres usées par le temps, poutres apparentes, au fonds de laquelle un escalier, appuyé contre le mur de galets, invitait à l’escalade.
Tout en haut, cinq pièces en enfilades, couvertes de livres.
Dans la dernière, couvertes de chaises agglutinées, toutes occupées, une estrade sur laquelle trônait une petite table et deux chaises, occupées elles aussi, par l’auteur m’ayant invité, et une femme qui m’interpella : « c’est 7 euros. Faîtes les passer, et trouvez vous une place ».
J’obtempérais, abasourdie, et me saisis du tabouret près de la porte.
Cette dédicace originale était en fait une conférence mensuelle. La libraire n’ouvrant sa librairie de campagne que le dimanche, et trimbalant son stand-librairie-itinérant sur les marchés des villes environnantes, le reste de la semaine. À la fin de la conférence, les spectateurs se pressèrent pour acquérir le livre présenté, dédicacé par l’auteur, et certains autres, présentés sur une étagère. Quand la salle se fut vidée, j’assistais à la transaction entre la libraire et l’auteur : nombre de livres restant, ôtés du total initial, multiplié par le prix de vente, divisé par deux. L’auteur amenait les livres, et la libraire, organisatrice de la soirée, prenait 50% des ventes, plus les entrées.
Ce soir là, environ 200 livres furent vendus. Noël approchant, c’était une bonne soirée pour tout le monde. Sauf pour moi.
Pourquoi ?, parce qu’éditant en numérique, je couvre les frais de base à partir de 5000 ventes. L’auteur qui perçoit 10% des ventes jusqu’à 2000 ventes, voit ses pourcentages augmenter au delà. Cet auteur là, ayant atteint le premier pallier des 2000 très rapidement, m’avait convaincu d’imprimer 1000 exemplaires pour les ventes en librairies. Je lui en avais remis 400, et le reste, rendus par ces mêmes librairies, prenaient la poussière, dans mon grenier.
Mais ce soir là, mon auteur, magnanime, me remis 100 euros d’acompte, première provision sur ses exemplaires, offerts par moi en dépôt vente à fonds perdu. Mais j’étais contente pour lui, et sa joie faisait plaisir à voir. Celle de sa libraire aussi.
Ne vous y trompez pas, je suis vraiment heureuse de la soirée de dédicace de cet auteur, et de l’ingéniosité de cette libraire qui organise des conférences mettant en contact auteurs et lecteurs.
Mais un peu désabusé d’être, à la fin, le dindon de la farce, et de perdre toujours plus, au final. D’où le désespoir du titre. Désespoir en série, dans les faits, parce que n’arrivant pas à vivre de mon activité d’éditrice, j’édite de moins en moins de titres par an, alors que je découvre de plus en plus de textes fabuleux qui mériteraient de trouver leurs lecteurs…
Mais espérance retrouvée, devant l’initiative de cette libraire intelligente qui, elle, vit de son activité, mais au prix de tellement d’efforts que je lui tire mon chapeau bien bas, et la remercie pour cette soirée-conférence, et sa leçon de commerce heureux qui m’a permis de reprendre la route avec le sourire, ce soir là : non, le métier de libraire n’est pas mort, tué par le numérique et la désertification des commerces de proximité… Non, le métier de petit éditeur passionné ne sert pas à rien.
Être éditeur aujourd’hui, par passion des livres et de leurs auteurs, est un loisir certes coûteux, mais l’ingéniosité et les initiatives de certains libraires, redonne espoir.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
N’hésitez pas à commenter ou à poser vos questions.
Merci d’avoir lu cet article.
En attendant, une toute bonne journée à chacune et chacun.